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L’administration peut-elle requalifier les loyers en revenus professionnels ?

Publié le 20 Août 2024

Des contribuables ont contesté la requalification de leurs revenus locatifs en revenus professionnels par l’administration fiscale en invoquant le fait que les dispositions légales en cause violaient le principe de sécurité juridique. La Cour constitutionnelle a tranché cette question dans un arrêt rendu le 9 novembre 2023 (n° 142/2023).

Les faits

Les contribuables avaient acquis, entre 2003 et 2018, dix biens immeubles au moyen de prêts hypothécaires. Ils déclaraient les loyers perçus comme revenus immobiliers et déduisaient les intérêts des prêts hypothécaires en application de l’article 14 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après « CIR 92 »).

À l’occasion d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale a requalifié les loyers perçus en revenus professionnels par application des articles 23, § 1er, 2° et 27, du CIR 92.

Selon les contribuables, ces articles violeraient toutefois les principes d’égalité et de non-discrimination et de légalité visés aux articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution car ils ne satisferaient pas à la condition de prévisibilité attachée au principe de légalité fiscale : en effet, ils rendraient imposables, au titre de revenus professionnels, « des loyers générés par des immeubles » à partir d’un nombre d’acquisitions immobilières non déterminé par la loi et sur la base du « critère prédominant dans la pratique administrative et dans la jurisprudence du recours au crédit ».

Selon eux, les dispositions en cause ne permettraient donc pas d’assurer une sécurité juridique suffisante aux contribuables.

La requalification de loyers en revenus professionnels est prévisible et donc légale

Il n’existe effectivement pas de critères légaux précis de ce qu’est une « activité de toute nature » ou une « occupation lucrative » génératrice de « revenus professionnels » au sens des articles 23, § 1er, 2° et 27, alinéa 1er, du CIR 92. Le législateur a laissé, à cet égard, un large pouvoir d’appréciation à l’administration fiscale et au juge. Trop large ?

La Cour de cassation définit de manière constante « l’occupation lucrative » génératrice de « profits » comme un « ensemble d’opérations suffisamment fréquentes » et « qui sont suffisamment liées entre elles » pour constituer « une activité continue et habituelle ne consistant pas en la gestion normale d’un patrimoine privé », ce qui doit être apprécié souverainement par le juge du fond.

Selon la Cour constitutionnelle, au regard de la jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation, « l’administration fiscale, sous le contrôle du juge, peut ainsi considérer que la multiplication d’achats de biens immobiliers en vue de les mettre en location et la réalisation d’opérations diverses ayant pour finalité la perception de loyers constituent une occupation lucrative, de sorte que les loyers perçus qui ont été générés par cette occupation doivent être qualifiés de revenus professionnels et sont imposés comme tels ».

Elle ajoute qu’on ne saurait reprocher au législateur de ne pas avoir fixé de critères à ce point précis que le fisc et le juge ne disposeraient plus d’aucun pouvoir d’appréciation dans une matière qui se caractérise par une très grande diversité de situations.

Bien que ce pouvoir d’appréciation conféré au fisc et au juge puisse engendrer des divergences dans la pratique administrative et la jurisprudence, cette marge d’appréciation, au regard de la jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation, n’empêche pas que les dispositions en cause soient suffisamment précises pour satisfaire au principe de légalité.

Le large pouvoir laissé au juge pour apprécier le caractère professionnel ou non d’une activité immobilière n’est, selon la Cour constitutionnelle, pas attentatoire au principe de légalité et de sécurité juridique. La prudence s’impose donc pour les investisseurs immobiliers les plus dynamiques qui, à défaut de règles précises, devront rester attentifs aux décisions rendues en jurisprudence.

Article rédigé par François Collon - Avocat

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