La désignation d’un administrateur provisoire de copropriété pour enrayer un blocage dans le fonctionnement normal d’une association de copropriétaires : syndics, pensez-y !
Publié le 28 Mars 2025
Comment gérer une association de copropriétaires (ACP) paralysée par un abus de majorité ou des conflits d’intérêts ? Une saga judiciaire à Ixelles rappelle l’intérêt de l’intervention d’un administrateur provisoire et les limites du pouvoir décisionnel des copropriétaires, même majoritaires.
Bref rappel de l’institution : qu’est-ce qu’un « administrateur provisoire de copropriété » ?
Pour rappel, l’article 3.92, § 2, du Code civil vise trois hypothèses de désignation d’un administrateur provisoire :
- soit l’équilibre financier de l’ACP est gravement compromis ;
- soit l’ACP se trouve dans l’impossibilité d’assurer la conservation de l’immeuble ;
- soit l’ACP est dans l’impossibilité d’assurer sa conformité aux obligations légales.
Dans les faits, il n’est pas rare que ces situations coexistent.
Les travaux préparatoires de loi de 2018 ayant inséré cette figure dans le monde des copropriétés évoquent expressément les situations de blocage total des organes de l’ACP, celles de copropriétés devenues ingérables, ou le cas d’entrave à la fonction de syndic.
Récent cas d’application, en plusieurs actes
- J.P. Ixelles, 20 mai 2022, R.G. n° 19A26_8/8, inédit.
- J.P. Ixelles, 17 novembre 2022, R.G. n° 19A26_8/8, inédit.
- J.P. Ixelles, 21 avril 2023, R.G. n° 23A1492/8, R.C.D.I., 2023/3, pp. 48-50.
- J.P. Ixelles, 20 novembre 2023, R.G. n° 19A26_8/8, inédit.
- J.P. Ixelles, 24 novembre 2024, R.G. n° 19A26_8/8, inédit.
ACTE 1
Dans le cadre de la gestion d’un petit immeuble de cinq appartements situé à Ixelles, face à l’existence d’une confusion d’intérêts entre les divers copropriétaires, en particulier dans le chef du syndic nonprofessionnel en place jusqu’alors, la Justice de paix du canton d’Ixelles a désigné un « syndic judiciaire provisoire » par jugement de mai 2022, avec pour mission notamment d’activer une expertise judiciaire afin de procéder à des travaux à l’inspection et la révision de l’ascenseur.
ACTE 2
À peine six mois plus tard, l’avocat-syndic provisoire désigné conclut à son tour à l’impossibilité de gérer la copropriété vu l’attitude de certains copropriétaires entravant chacune de ses démarches. Le tribunal a donc doublé la casquette du syndic provisoire et l’a désigné également en qualité d’ administrateur provisoire, par jugement de novembre 2022.
ACTE 3
Dans le cadre d’une affaire opposant les mêmes protagonistes, le tribunal condamne en avril 2023 les copropriétaires récalcitrants au paiement de leur dette d’arriérés de charges de copropriété composée des appels de fonds édités par le « syndic-administrateur provisoire », ceux-ci étant nécessaires au financement des missions que cette même juridiction lui avait antérieurement confiées.
ACTE 4
Par jugement de novembre 2023, le tribunal constate la persistance du blocage (refus d’accès à leur appartement privatif dans le cadre de l’expertise judiciaire…) et la confusion d’intérêts, un copropriétaire usurpant la qualité de syndic et feignant d’agir en cette qualité auprès de divers intervenants, dont la banque et l’expert judiciaire. Le mandat du syndic-administrateur provisoire est donc évidemment prolongé, pour douze mois.
ACTE 5
Un an plus tard, « belote et rebelote ». Puisqu’en octobre 2024, lors d’une descente sur les lieux ordonnée par le tribunal dans le cadre de l’expertise judiciaire, les copropriétaires rebelles ont – encore ! – refusé de donner accès à leur lot, le tribunal a, à nouveau, prolongé ce double mandat face au caractère « flagrant » de « la persistance du refus de collaboration », par jugement de novembre 2024.
RETENEZ QUE...
Le syndic (conventionnel, judiciaire ou provisoire) a qualité pour demander la désignation d’un administrateur provisoire.
Au même titre qu’un ou plusieurs copropriétaires disposant d’au moins un cinquième des quotes-parts dans les parties communes, le syndic peut prendre l’initiative de solliciter la désignation d’un administrateur provisoire.
Comme en l’espèce, il peut demander à être lui-même investi de pouvoirs d’administrateur provisoire (cf. infra).
Rappelons que la demande doit, à l’origine, lorsque le syndic prend l’initiative de la procédure, être introduite par requête unilatérale signée par un avocat.
L’administrateur provisoire se substitue à l’assemblée générale.
Dans la plupart des cas, l’administrateur provisoire se substitue à l’assemblée générale, organe décisionnel de l’ACP, pour les missions que le juge détermine : par exemple, soit pour une mission bien précise et limitée – la gestion d’un dossier de travaux d’importance – ; soit pour une mission complète de gestion de l’ACP.
En d’autres termes, dans le cadre de l’exercice de sa mission, particulière ou générale, l’administrateur provisoire remplace l’assemblée générale. Dans le cadre d’une mission complète de gestion, il remplace également le syndic et cumule les pouvoirs décisionnels de l’assemblée et les pouvoirs du syndic.
Cela permet de faciliter la prise de décision – il ne faut plus passer par une assemblée générale préalable et cela évite l’écueil d’un vote négatif entraînant un blocage de la situation – et donc, in fine, l’exécution des missions d’administration provisoire octroyées par le tribunal.
« (…) SEUL LE JUGE PEUT RÉVOQUER LE SYNDIC DÉSIGNÉ PAR JUGEMENT » (ART. 3.89, § 7, C. CIV.).
En l’espèce, le tribunal a pu rappeler que, même si les copropriétaires majoritaires votaient en assemblée générale le « rétablissement » d’un copropriétaire dans sa fonction de syndic, cela ne rendait pas pour autant les mandats judiciaires « nuls ou inopérants ».
Premièrement, un tel vote consistait en la meilleure illustration de l’attitude de blocage de l’ACP et d’entrave au mandat du syndic provisoire.
Deuxièmement, en droit, pour contester une décision de justice, il faut former un recours, conformément aux dispositions du Code judiciaire.
Troisièmement, rappelons que l’article 3.89, § 7, du Code civil prescrit expressément que « seul le juge peut révoquer le syndic désigné par jugement ».
Finissons ce bref article comme nous l’avons commencé en rappelant les travaux parlementairesayant précédé à l’adoption de cette disposition : « il n’est pas souhaitable que l’assemblée générale puisse annuler une décision judiciaire de sa propre initiative, en contournant le juge. Cette limitation se justifie également d’un point de vue pratique afin de permettre au syndic d’accomplir sa mission ».
Le mot de la fin
J.P. IXELLES, 21 AVRIL 2023, R.G. N° 23A1492/8, R.C.D.I., 2023/3, PP. 48-50 (EXTRAITS)
« (…) si dans une copropriété chacun a des droits, nul n'a tous les droits, même pas la majorité, et les cours et tribunaux sont là pour veiller à ce que les droits de tout un chacun, même le minoritaire, soient respectés.
Tant que les consorts (...) persisteront à ne pas l'admettre et à vouloir faire la loi, au lieu de se conformer à celle-ci, la situation sera sans issue ».
Cette invitation à la sagesse semble, in casu, et pour le moment, être restée lettre morte !
Initialement nommé «syndic judiciaire provisoire» en 2022, l'administrateur provisoire a vu son mandat prolongé à plusieurs reprises en raison de la persistance du blocage. La Justice de la paix du canton d'Ixelles a rappelé qu'une assemblée générale ne peut pas contourner une décision de justice. Si la désignation d'un administrateur provisoire de copropriété doit, en principe, rester une mesure exceptionnelle, elle peut néanmoins subsister et se justifier, tant que le blocage persiste. Face à une situation grave de dysfonctionnement d'une copropriété, en raison de l'attitude de certains copropriétaires, le syndic professionnel peut jouer le premier rôle et prendre lui-même l'initiative d'une procédure judiciaire visant sa désignation comme administrateur provisoire.
Julien Van Gils
Avocat au sein du cabinet DECODE
jvg@decode.be