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Une association des copropriétaires est une entreprise !

Publié le 18 Décembre 2023

L’association des copropriétaires est une entreprise au sens de la définition générale du Code de droit économique avec pour conséquences : la compétence du tribunal de l’entreprise dans certains cas, l’application des procédures d’insolvabilité et du régime de la preuve libre.

Compétences spéciales du tribunal de l’entreprise et du juge de paix

L’association des copropriétaires est une personne morale et donc une entreprise au sens de la définition générale du Code de droit économique (article I.1, 1°, dudit Code).

Or, selon l’article 573 du Code judiciaire, le tribunal de l’entreprise est compétent en matière de contestations entre entreprises visées à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, qui ne relèvent pas de la compétence spéciale d’autres juridictions.

L’article 591, 2°bis, du même Code énonce, quant à lui, que le juge de paix est spécialement compétent en matière de contestations relatives à la copropriété forcée des immeubles ou groupes d’immeubles bâtis.

Le juge de paix connaîtra donc des litiges internes à une association de copropriétaires, qu’ils concernent les relations entre l’association et les copropriétaires ou entre l’association et le syndic (action en annulation d’une décision d’assemblée générale, procédure en recouvrement d’arriérés de charges de copropriété, action en rectification de la répartition des quotesparts, mise en cause de la responsabilité du syndic, etc.).

Le tribunal de l’entreprise est compétent, dans certains cas, pour connaître d’un litige concernant une ACP

L’article 591, 2°bis, du Code judiciaire n’a pas pour conséquence que le juge de paix connaîtra de tous les litiges impliquant une association de copropriétaires.

Pour un exemple contraire, une contestation opposant une association de copropriétaires et un fournisseur constitué en entreprise au sens de la définition générale du Code de droit économique, est étrangère à la gestion interne de l’association des copropriétaires (et échappe donc à la compétence du juge de paix). Il s’agit ici d’une contestation entre entreprises, qui est de la compétence du tribunal de l’entreprise, conformément à l’article 573 du Code judiciaire évoqué ci-avant.

PLUSIEURS JURIDICTIONS SE SONT POSITIONNÉES EN CE SENS :

Tribunal d’arrondissement de Flandre occidentale, 15 novembre 2019 (T.G.R. - T.W.V.R., 2019, liv. 4, p. 232). « Comme l’association des copropriétaires est une personne morale et donc une entreprise, les entrepreneurs doivent soumettre le recouvrement de leurs factures contre une association de copropriétaires au tribunal de l’entreprise. »

Tribunal d’arrondissement de Flandre orientale, 16 mars 2020 (R.C.D.I., 2020, liv. 2, p. 43). « Les litiges relatifs à une association de copropriétaires doivent être compris comme incluant les litiges relatifs et directement liés à l’existence, au fonctionnement, à la gestion ou au contrôle de la personne morale. Les réclamations de tiers, dirigées contre l’association des copropriétaires et tendant au paiement des factures, ne sont pas incluses et sont de la compétence du tribunal de l’entreprise. »

Tribunal d’arrondissement francophone de Bruxelles, 13 décembre 2021 (R.C.D.I., 2022, liv. 3, p. 44). « Il est acquis qu’une association de copropriétaires est visée par l’article I.1 du Code de droit économique et correspond donc à une entreprise mais dans le cas d’espèce, il s’agit d’une action en paiement d’honoraires qu’un ancien syndic dirige contre une association de copropriétaires ; il s’agit d’une action interne à l’association des copropriétaires au sens de l’article 591, 2°bis, du Code judiciaire. Le litige est donc de la compétence exclusive du juge de paix. »

Tribunal d’arrondissement de Flandre occidentale, 21 avril 2023 (T.G.R. - T.W.V.R., 2023, liv. 4, p. 201). « L’action d’une association de copropriétaires contre le promoteur immobilier est une action contre une entreprise commerciale et ne concerne ni un litige entre les membres d’une association de copropriétaires, ni un litige entre l’association des copropriétaires et un copropriétaire. Le tribunal de l’entreprise est compétent en la matière. »

Qu’en pense la Cour constitutionnelle : C.C., n° 93/2023, 15 juin 2023 (question préjudicielle) ?

Récemment, ce qui nous donne l’occasion de ce bref article, la Cour constitutionnelle a été saisie pour trancher la question de savoir s’il était discriminatoire ou non de traiter deux catégories de personnes de manière différente, en ce qui concerne la compétence du tribunal : d’une part, une association des copropriétaires qui assure la gestion et la conservation d’un immeuble, et d’autre part, la personne physique qui assure également ces missions à titre non professionnel.

En effet, comme indiqué ci-dessus, l’association des copropriétaires voit certains des litiges la concernant être traités par le tribunal de l’entreprise alors que la personne physique non professionnelle qui assure la gestion et la conservation d’un immeuble verrait, par exemple, un litige engageant sa responsabilité être traité par le tribunal de première instance.

Par son arrêt n° 93/2023 du 15 juin 2023, la Cour constitutionnelle n’y a vu aucune violation aux principes d’égalité et de non-discrimination en ces termes :

« Il découle de ce qui précède que l’attribution au tribunal de l’entreprise des contestations nées entre une association de copropriétaires et d’autres entreprises au sens de l’article I.1, 1°, du Code de droit économique est raisonnablement justifiée et ne porte pas atteinte au droit d’accès des justiciables à un juge compétent. »

L’application à l’ACP des procédures d’insolvabilité et du régime de la preuve libre, mais pas des clauses abusives !

LA DÉFINITION PARTICULIÈRE DE L’ENTREPRISE

Pour l’application de plusieurs Livres du Code de droit économique, il conviendra de se référer à la définition particulière de l’entreprise – « toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations » – qui est d’application. Il est admis qu’une association des copropriétaires n’est pas une entreprise au sens de cette définition.

CAS D’APPLICATION

Clauses abusives. Cette définition particulière de l’entreprise s’applique, par exemple, aux dispositions du Livre VI intitulé « Pratiques du marché et protection du consommateur » qui contient diverses règles protectrices du consommateur.

Par conséquent, contrairement à ce que certains tribunaux considèrent, dans le cadre d’un litige opposant l’association des copropriétaires à un consommateur (par exemple un copropriétaire personne physique), les règles relatives aux clauses abusives (contenues dans le Livre VI visé ci-avant) ne s’appliquent pas aux sanctions en matière de retard de paiement prévues par le règlement général de copropriété, l’association des copropriétaires n’étant pas, dans cette hypothèse, assimilée à une entreprise (contra : J.P. Anvers (3), 8 mars 2018, R.C.D.I., 2019, liv. 3, p. 36 et J.P. Meise, 28 janvier 2019, R.C.D.I., 2019, liv. 4, p. 38).

Gratuité du 1er rappel de paiement. La définition particulière de l’entreprise est également d’application dans le cadre du Livre XIX intitulé « Dettes du consommateur » (cf. « Premier rappel obligatoirement gratuit en cas de retard de paiement : quelles conséquences pour l’ACP et son syndic ? » paru sur le site www.federia.immo le 14/11/2023).

Réorganisation judiciaire et faillite. En revanche, la définition générale du Livre I du Code de droit économique est applicable au Livre XX du même Code régissant les procédures d’insolvabilité, c’est-àdire, la procédure de réorganisation judiciaire et la procédure de faillite.

Une association de copropriétaires peut donc faire aveu de faillite – ou être citée en faillite par un créancier –, ou être demanderesse en réorganisation judiciaire pour tenter, par exemple, d’obtenir l’accord de ses créanciers sur un plan d’apurement de ses dettes.

Régime de la preuve libre. Pour une autre conséquence de l’application de la définition générale de l’entreprise, l’association des copropriétaires tombe sous le régime de la preuve libre (article 8.11 du nouveau Code civil). Concrètement – et cela peut constituer un avantage –, la comptabilité d’une association de copropriétaires peut constituer un moyen de preuve. À l’inverse, là où cela peut représenter une contrainte (en particulier pour le syndic), c’est qu’il est impératif de contester une facture émise à l’attention de l’association des copropriétaires, et ce « dans un délai raisonnable » s’il existe des motifs de contestation. À défaut, la facture pourra être utilisée comme moyen de preuve et, pour échapper à son paiement, il appartiendra alors à l’association des copropriétaires d’essayer de démontrer qu’elle avait émis en temps utile des contestations verbales ou encore que son silence n’était pas constitutif d’une acceptation, ce qui, en pratique, sera quasiment impossible.

L’association des copropriétaires est assimilée, dans certains cas, à une entreprise. Cela implique l’application de règles de droit propres aux entreprises. Il convient donc d’être prudent, et de réagir rapidement, notamment lorsqu’une association des copropriétaires reçoit, par l’intermédiaire de son syndic, une facture émanant d’une entreprise tierce et pour laquelle il existe des motifs decontestation.

Article rédigé par Julien Van Gils - Avocat au sein du cabinet DECODE (jvg@decode.be)

Article issu de la rubrique "L'Avis du Juge" du Federiamag n°35

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