Zoom sur le bail commercial : la résiliation par les parties ou par le nouvel acquéreur
Publié le 28 Septembre 2021
Nous avons reçu ces derniers temps plusieurs questions relatives au bail commercial, qu’il soit de courte durée ou de droit commun. Etant donné la complexité de la matière, nous vous proposons une mise en situation qui permettra d’aborder plusieurs questions que le praticien pourrait être amené à se poser.
Imaginons un contrat de bail répondant aux caractéristiques suivantes :
- Le contrat porte l’intitulé "contrat de bail de courte durée" ;
- Il concerne un immeuble situé en Région wallonne ;
- Il est conclu après le 1er mai 2018 et pour une durée initiale d’un an ;
- Il a été renouvelé par écrit par les parties aux mêmes conditions, en ce compris la durée ;
- Il ne mentionne pas la possibilité pour le bailleur de résilier anticipativement le contrat de bail ;
- Il ne prévoit pas de faculté d’expulsion en faveur de l’acquéreur (en cas de vente de l’immeuble faisant l’objet du bail).
Le bail commercial en question est-il bien un bail commercial dit "de courte durée" ?
Pour entrer dans le champ d’application du décret wallon du 15 mars 2018 relatif au bail commercial de courte durée et modifiant le Code civil, le bail doit être conclu pour une durée “égale ou inférieure à un an” (art. 1er). Par conséquent, le bail initial (avant son renouvellement) était bien considéré comme étant un bail de courte durée. En revanche, suite au renouvellement du bail par les parties aux mêmes conditions, en ce compris la durée, la durée du bail se trouve être de deux fois une année, ce qui sort directement le contrat du champ d’application du décret dont question ci-dessus. En effet, pour être considéré comme un bail commercial de courte durée, il aurait été nécessaire que la durée totale de la location (prolongations éventuelles incluses) ne dépasse pas une année (art. 2, al. 2, 3°).
Si le bail n’est pas de courte durée, pour quelle durée est-il réputé être conclu ?
Le bail en question “bascule” donc dans le régime des baux commerciaux de droit commun et il est dès lors réputé avoir été conclu pour une durée minimale de neuf années à compter de son entrée en vigueur initiale. Il faut donc se tourner vers la loi sur les baux commerciaux du 30 avril 1951.
Le propriétaire de l’immeuble se retrouve donc avec un bail d’une durée minimale de neuf années, perdant les avantages du bail commercial de courte durée. Peut-il encore y mettre fin ?
Le droit commun du bail commercial prévoit ceci en ce qui concerne la résiliation par le propriétaire-bailleur : "Le contrat de bail peut, en outre, autoriser le bailleur à mettre fin au bail à l’expiration (de chaque triennat), moyennant un préavis d’un an, par exploit d’huissier de justice ou par lettre recommandée à la poste, en vue d’exercer effectivement lui-même dans l’immeuble un commerce ou d’en permettre l’exploitation effective par ses descendants, ses enfants adoptifs ou ses ascendants, par son conjoint, par les descendants, ascendants ou enfants adoptifs de celui-ci, ou par une société de personnes dont les associés actifs ou les associés possédant au moins les trois quarts du capital ont avec le bailleur ou son conjoint les mêmes relations de parenté, d’alliance ou d’adoption" (art. 3, al. 5 de la loi sur les baux commerciaux).
Il en ressort que le propriétaire-bailleur ne bénéficie pas d’office d’un droit de résiliation anticipée et qu’il ne dispose de cette possibilité QUE si cela a été expressément prévu dans le contrat de bail.
Dans le cas qui nous occupe, le contrat de bail ne prévoit pas cette possibilité. Malheureusement, dans notre casus, notre propriétaire-bailleur ne pourra donc pas mettre fin au bail anticipativement et il devra attendre l’expiration du terme convenu (soit en l’occurrence neuf ans puisque le contrat est "tombé" dans le droit commun). Toutefois, si le preneur venait à ne plus respecter ses obligations contractuelles, le bailleur pourra toujours saisir le juge pour tenter de faire constater les manquements (le juge conservera son pouvoir d’appréciation).
Et le preneur, peut-il mettre fin au bail commercial anticipativement ?
La réponse est positive. L’article 3, alinéa 3 de la loi sur les baux commerciaux prévoit en effet que le preneur peut, quant à lui, mettre fin au bail en cours "à l’expiration de chaque triennat, moyennant un préavis de six mois, par exploit d’huissier de justice ou par lettre recommandée à la poste".
Et si les parties sont d’accord de mettre fin au bail ?
Fort heureusement, les parties sont autorisées par l’article 3, alinéa 4 de la loi sur les baux commerciaux à mettre fin au bail commercial à tout moment, à condition que leur accord "soit constaté par un acte écrit présenté à l’enregistrement". Petite précision tout de même : en Région bruxelloise et en Région flamande, cet accord doit être constaté "par un acte authentique ou par une déclaration faite devant le juge". Le formalisme est donc plus strict qu’en Région wallonne.
À présent, imaginons que le bien faisant l’objet du bail soit vendu. Le nouveau propriétaire peut-il mettre fin au contrat s’il souhaite occuper les lieux ?
Préalablement, il est important de noter que le contrat de bail renouvelé consiste en un nouveau contrat et celui-ci doit, pour obtenir date certaine, être enregistré une nouvelle fois. Le renouvellement du bail donne ainsi naissance à un nouveau bail.
Nous envisageons deux hypothèses :
Première hypothèse : si le bail (ou son renouvellement) a été enregistré (et a ainsi une date certaine)
L’article 12 de la loi sur les baux commerciaux prévoit que l’acquéreur peut, uniquement si le bail prévoit une clause d’expulsion en faveur de l’acquéreur (ce qui n’est pas le cas dans notre casus), mettre fin au bail moyennant congé d’un an donné dans les trois mois de l’acquisition (c’est-à-dire l’acte authentique), dans les hypothèses suivantes :
"1° [Pour] occuper le bien loué personnellement et effectivement ou de le faire occuper de telle manière par ses descendants, ses enfants adoptifs ou ses ascendants, par son conjoint, par les descendants, ascendants ou enfants adoptifs de celui-ci, ou de le faire occuper par une société de personnes dont les associés actifs ou les associés possédant au moins les trois quarts du capital ont avec le bailleur ou son conjoint les mêmes relations de parenté, d’alliance ou l’adoption.
2° [Pour] affecter l’immeuble à une destination exclusive de toute entreprise commerciale.
3° [Pour] reconstruire l’immeuble ou la partie de l’immeuble dans laquelle le preneur sortant exerce son activité. (…)
4° Tous manquements graves du preneur aux obligations qui découlent pour lui du bail en cours, (…)".
Deuxième hypothèse : si le bail (ou son renouvellement) n’a pas été enregistré (et n’a pas date certaine) mais que le preneur occupe le bien depuis plus de six mois.
Le preneur qui occupe déjà les lieux depuis six mois jouit de la même protection que dans le cadre d’un contrat de bail avec date certaine dans lequel une clause d’expulsion est prévue (v. début de la première hypothèse ci-dessus). L’acquéreur ne pourra alors expulser le preneur que pour l’un des quatre motifs repris ci-avant et moyennant un préavis d’un an notifié dans les trois mois de l’acquisition.
En raison du fait que le bail soumis était initialement un bail de courte durée et qu’il est devenu un bail commercial de droit commun en raison de son renouvellement (la durée totale dépassant alors un an), il ne contient pas certaines clauses qui auraient pu être utiles au bailleur ou à un futur acquéreur pour mettre fin au bail (clause d’expulsion ou faculté de résiliation anticipée). À l’issue du bail commercial de courte durée, il y a donc lieu de se remettre autour de la table et de refaire un bail commercial complet pour ne pas passer à côté de certaines règles.