AG virtuelles de copropriété et droit à l’image
Publié le 28 Juin 2021
L’arrivée du coronavirus COVID-19 a bousculé la tenue des assemblées générales de copropriété, traditionnellement tenues en présentiel. Brusquement, il n’était plus possible de tenir de réunions de ce type, par ailleurs souvent organisées dans des locaux exigus ne permettant pas la distanciation sociale.
Le coronavirus COVID-19 n’a toutefois pas arrêté les difficultés quotidiennes rencontrées par une copropriété, bien au contraire. Dès lors, même si des reports d’assemblées générales ont été autorisés — ces reports étant même prolongés par l’Arrêté royal du 5 mars 2021 prolongeant les mesures à l’égard de l’assemblée générale des copropriétaires de la loi du 20 décembre 2020 portant des dispositions diverses temporaires et structurelles en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 — il fallait quand même trouver une solution pour pouvoir tenir les assemblées nécessaires.
Certains copropriétaires s’opposant, pour différentes raisons, à la tenue d’assemblées générales à distance, le législateur a clarifié la situation en décembre 2020.
L’article 577-6 de l’ancien Code civil, ainsi que l’article 3.87 du nouveau Livre 3 "Les Biens" du Code civil ont ainsi été modifiés par la loi du 20 décembre 2020 portant des dispositions diverses temporaires et structurelles en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID−19. Les articles 57 et 58 modifient les deux articles précités de l’ancienne et de la nouvelle mouture du Code civil pour expressément permettre la tenue d’assemblée générale à distance. La modification prévoit toutefois une condition,
logique, mais d’importance, à savoir que la convocation doit prévoir que l’assemblée sera tenue à distance. Cette condition peut avoir son importance si la convocation est envoyée sans mentionner que la réunion se tiendra à distance et qu’une rectification est ensuite envoyée. Le cas échéant, les sanctions d’un défaut formel affectant convocation pourront être invoquées par un copropriétaire.
La tenue de l’assemblée générale à distance doit se faire, assez logiquement à nouveau, par le biais d’une solution technique permettant le débat, l’interaction et le vote. Une assemblée générale “unidirectionnelle” dans laquelle une seule personne aurait techniquement la possibilité de parler et les autres personnes ne pourraient en être que spectateurs ne serait évidemment par concevable. Il n’est, en revanche, pas nécessaire que l’assemblée se tienne par vidéoconférence ou que l’image des participants soit captée. On peut tout à fait imaginer qu’une assemblée générale se tienne par téléconférence, voire — même si cela est sans doute moins pratique — par le biais d’un chat ou d’une application de messagerie instantanée. Dans le dernier cas de figure, il faudrait toutefois déterminer un moyen de s’assurer de l’identité du participant puisqu’il ne serait pas possible de reconnaître sa voix ou son image.
On le ressent directement, le recours à la technologie auprès d’un public qui n’est pas nécessairement rompu à son usage, voire qui ressent une certaine méfiance à son encontre, va poser des difficultés. Des difficultés techniques bien sûr, mais également des difficultés liées à la confiance dans l’utilisation des outils. Des copropriétaires pourraient vouloir vérifier l’identité des autres parties prenantes, se méfier de ce qu’on appelle les “deep fakes” ou s’inquiéter de la sécurité informatique. Ces inquiétudes sont certainement exagérées pour une large part, mais devront être rencontrées. Une certaine pédagogie et le choix d’outils appropriés seront sans doute nécessaires. Par ailleurs, le recours à une technologie de communication à distance permet d’utiliser aisément des fonctionnalités qui sont moins aisées à mettre en oeuvre dans le monde “physique”, comme l’enregistrement, qui peut être très pratique au moment de rédiger les minutes de la réunion.
L’utilisation d’un outil électronique de vidéoconférence (Teams, Zoom, Skype…) va entraîner l’application de deux droits distincts mêmes si proches. Le droit à la protection des données à caractère personnel — principalement protégé dans le fameux Règlement général sur la Protection des Données — d’une part, et le droit à l’image d’autre part.
Il n’est pas possible de réaliser un résumé des règles applicables à la protection des données à caractère personnel dans le cadre des associations de copropriétaires et de leur relation avec les syndics dans le cadre de ces lignes. Il est renvoyé à cet égard aux décisions de l’Autorité de Protection des Données ainsi qu’à l’avis du 11 juin 2008 émis par l’ancienne Commission pour la Protection de la Vie Privée. Cet avis doit toutefois être pris avec du recul étant donné qu’il prédate le Règlement général sur la Protection des Données et qu’il se base sur l’ancienne loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel. Néanmoins, l’Autorité de Protection des Données y fait encore régulièrement référence.
Le droit à l’image, quant à lui, est souvent lié à l’article XI.174 du Code de droit économique qui interdit au propriétaire d’un portrait de vendre ou de communiquer celui-ci sans l’accord de la personne représentée. Cet article, qui se trouve dans la partie relative au droit d’auteur du Code de droit économique, n’est toutefois pas la seule règle applicable. En réalité, les cours et tribunaux ont développé, au fur et à mesure, de leur jurisprudence, la protection du droit à l’image. Ce droit à l’image jurisprudentiel est basé sur un équilibre entre le respect des droits de la personne — qui passe par son consentement préalable — et un certain bon sens pratique. Une photographie d’une foule — à l’occasion d’une manifestation par exemple — n’entraînera pas l’obligation de récolter le consentement préalable de chacune des personnes apparaissant sur l’image.
Dans notre hypothèse d’organisation d’une assemblée générale des copropriétaires à distance, la convocation pourra-t-elle prévoir l’obligation d’allumer sa caméra — et donc de montrer son image — aux fins d’identifier le copropriétaire ? Si l’obligation ne porte que sur les quelques secondes nécessaires à l’identification, il y a de fortes chances que cela soit considéré comme raisonnable eu égard aux circonstances et aux exigences d’identification. Des solutions techniques alternatives de vérification de l’identité — via la carte eID par
exemple — pourraient exister, mais sont probablement trop coûteuses pour une majorité de copropriétés. Par contre, les copropriétaires pourraient raisonnablement couper leur caméra pour le reste de l’assemblée et s’opposer à ce que leur image soit enregistrée. En effet, cela n’apparaît pas comme nécessaire. Dès lors, le copropriétaire pourrait invoquer son droit à l’image et son droit au respect de sa vie privée en ce sens.
On le voit, le recours à la technologie rend bien des choses possibles, mais ne va pas sans entraîner des inquiétudes, parfois disproportionnées, parfois fondées. Une bonne dose de patience, de pédagogie et de bon sens devrait permettre de gérer la majorité de ces situations. Dans le doute, le syndic devra toutefois se montrer particulièrement prudent. En effet, s’il ne peut être considéré que comme le sous-traitant — au sens du RGPD — de l’association des copropriétaires — alors considérée comme le responsable du traitement — le
syndic, singulièrement le syndic professionnel, a toutefois une obligation de conseil renforcée par le RGPD en matière de traitements des données à caractère personnel. Face à un copropriétaire “difficile”, mieux vaut donc réfléchir adéquatement l’organisation des assemblées générales à distance.
Article rédigé par Alexandre Cassart,
Avocat associé, Lexing Belgium