Tutelle et administration de biens : conséquences pour l’agent immobilier-courtier
Publié le 28 Mars 2023
La capacité juridique du vendeur1 d’un immeuble ou de droits immobiliers indivis est un des éléments essentiels de la validité de la vente. Comme tout contrat, la vente d’un immeuble est soumise aux conditions de validité que sont le consentement et la capacité des parties. La présente contribution aborde l’incapacité des majeurs et des mineurs. L’agent immobilier intervenant dans le cadre de ventes de gré à gré, c’est de celles-ci dont il sera question ici.
Même s’il reviendra au notaire chargé de recevoir l’acte de vente de vérifier l’identité et la capacité des parties à l’acte, il est important pour l’agent immobilier de s’assurer de celle-ci, que ce soit au stade de la signature du contrat de courtage d’un bien immobilier ou au stade de la signature de la convention de vente sous seing privé (compromis). Le contrat de courtage peut en effet être annulé s’il apparaît que le vendeur est incapable ; l’agent pourrait alors voir sa rémunération mise en péril.
Pour LE MINEUR D’ÂGE, il suffit de demander la carte d’identité. Pour rappel, l’enfant mineur d’âge reste sous l’autorité de ses père et mère jusqu’à sa majorité2 ou son émancipation3. L’autorité parentale s’exerce conjointement par les père et mère, même séparés, sauf si le juge en a décidé autrement. Il est donc opportun d’interroger les parents séparés. Si l’un des parents est décédé, l’autre exerce seul l’autorité parentale. Pour la vente de droits immobiliers appartenant au mineur, le ou les parents exerçant l’autorité parentale doivent demander l’autorisation de vendre au juge de paix du lieu du domicile4 ou de la résidence habituelle de l’enfant.
Lorsqu’il y a opposition d’intérêts entre le mineur et son ou ses parents ou l’un d’eux, le juge de paix désigne un tuteur ad hoc, souvent un avocat, pour représenter l’enfant à l’acte.
Pour LES INCAPABLES MAJEURS, la situation est moins aisée. Il ne suffit pas de demander à une personne si elle est capable ou non et la mesure de protection n’apparaît pas sur la carte d’identité. Rappelons que le principe est la capacité. Pour qu’il y ait incapacité d’un majeur, il faut une décision d’un juge de paix. Il est possible de vérifier la capacité d’une personne en consultant les annexes au Moniteur belge5. Faut-il cependant le faire pour chaque personne ? C’est l’idéal, assurément. Des indices amènent à une certaine prudence. L’état visible de la personne, son âge, sa manière de s’exprimer, mais aussi le fait d’être sollicité comme agent immobilier par les enfants, indivisaires ou non, plutôt que par la personne elle-même, etc.
Une fois l’incapacité révélée, cela ne suffit pas. La loi du 17 mars 20136 réformant les régimes d’incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine a bouleversé considérablement la gestion des administrations provisoires de biens. Avant la loi du 17 mars 2013, les mesures d’incapacité étaient générales. L’administrateur provisoire des biens représentait la personne protégée dans tous les actes. Désormais, le juge de paix fait du « sur mesure ». Il est question de « protection judiciaire » (qui se distingue du mandat extrajudiciaire donné par une personne à un tiers de son choix), laquelle se décline en mesures d’assistance ou de représentation. Ces mesures peuvent toucher tant à la personne qu’aux biens. Dans chaque ordonnance de mise sous protection judiciaire, le juge de paix doit définir les incapacités. Il est donc opportun de demander une copie complète de l’ordonnance afin de pouvoir vérifier si la personne protégée est capable ou non de vendre un immeuble ou des droits immobiliers. Bien évidemment, si la personne protégée ou son entourage font état spontanément de l’incapacité de vendre, il suffit de demander l’identité de l’administrateur des biens et de le contacter.
Sous le régime d’assistance, plus rare que le régime de représentation dont question ci-dessous, la personne protégée ne pourra poser les actes pour lesquels le juge de paix l’a déclarée incapable que moyennant le consentement préalable écrit de l’administrateur ou la co-signature de l’acte par l’administrateur assistant. Dans ce cas, il n’y a besoin d’aucune autorisation du juge de paix.
Dans un régime de représentation, il faudra l’autorisation du juge de paix pour pouvoir vendre l’immeuble ou les droits indivis immobiliers de la personne protégée, si elle en a été déclarée incapable.
Ainsi, qu’il s’agisse de mineurs ou d’incapables majeurs, une autorisation de justice est nécessaire pour vendre un immeuble dont ils sont en tout ou en partie propriétaires. Les articles 1186 et suivants du Code judiciaire règlent les procédures de ventes publiques ou de gré à gré dans ces cas. En principe, c’est la vente publique en présence ou via la plateforme BIDDIT qui doit être privilégiée. Toutefois, l’article 1193bis du Code judiciaire permet de recourir à la vente de gré à gré si l’intérêt des personnes protégées par ces articles l’exige. L’intérêt réside dans l’espoir d’obtenir un prix de vente supérieur. Pour ce faire, il conviendra de déposer un rapport estimatif dressé par un notaire et/ou selon la Justice de Paix un expert indépendant suivant les exigences du tribunal qui aura à donner l’autorisation de vendre.
La requête en autorisation est en principe déposée par l’administrateur ou l’un des indivisaires lorsque l’immeuble est en indivision. Sans rentrer dans les détails, c’est le juge de paix qui, en général, autorise la vente. Si l’immeuble dépend d’une succession acceptée sous bénéfice d’inventaire, ce pourra être le tribunal de la famille.
Pour l’agent immobilier, il est préférable que les autorisations se réalisent en deux temps. Avant l’intervention de l’agence, une requête en autorisation de mise en vente à un prix minimum et de signer un contrat de courtage en faveur de l’agence choisie sera déposée. De la sorte, l’intervention de l’agence sera validée par le juge de paix. Les frais et honoraires de l’agence pourront, en cas d’insuffisance pour honorer les créanciers (cas d’un immeuble dépendant d’une succession acceptée sous bénéfice d’inventaire, par exemple), être considérés comme frais de justice et primer les autres créanciers de la succession. À défaut d’avoir l’autorisation du juge de paix, il s’agira d’une créance chirographaire7. Dans un même contexte, l’agent veillera au préalable à faire signer le contrat de courtage à son profit par les éventuels autres indivisaires. Il pourra utilement prévoir, dans ce cas, une clause de solidarité et d’indivisibilité entre les indivisaires. Cela signifie qu’ils seront tous tenus à l’intégralité des frais et honoraires de l’agence ; à charge pour eux de réclamer aux autres le remboursement de leur part. Sans clause de solidarité et d’indivisibilité, ils ne seront tenus qu’à concurrence de leur part.
Une fois que l’agence aura trouvé le candidat acquéreur, il lui fera signer une offre d’achat qui l’engagera le temps nécessaire et suffisant (il est difficile de donner un délai précis, certaines juridictions étant très réactives, d’autres moins…) pour le représentant légal de l’incapable de demander l’autorisation au juge compétent. Précisons que la requête devra être accompagnée d’un projet d’acte dressé par le notaire, d’un rapport estimatif du bien, d’un certificat hypothécaire récent (compte tenu du délai particulièrement long pour obtenir ce certificat, il est préférable que le notaire en fasse la demande au plus vite, dès l’entame de la procédure) et d’un extrait de matrice cadastrale avec plan.
Et si la convention voire l’acte sont signés sans autorisation ? Les actes pour lesquels une autorisation du juge de paix était nécessaire et qui ont été posés malgré l’absence d’autorisation sont nuls de droit. Le juge n’a pas de pouvoir d’appréciation une fois que la nullité est sollicitée. Il faut donc que la nullité soit sollicitée. L’action se prescrit par cinq ans. Le juge de paix pourrait toutefois être saisi a posteriori pour valider la vente.
Évitons donc le passage en justice et vérifions la capacité des parties à la convention. Un petit clic vaut mieux qu’une méchante claque…
Article rédigé par Jean-François Ledoux, Avocat au barreau de Dinant et Juge suppléant au Tribunal de première instance de Namur
1 Cela vaut également pour l’acquéreur.
2 18 ans.
3 Pour les férus de textes de loi, il est renvoyé aux articles 372 et suivants de l’ancien Code civil.
4 Art. 629quater C. jud.
5 https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/welcome.pl : via le moteur de recherche, il suffit d’introduire le nom de la personne et le verbo « administration des biens » et, en général, le résultat apparaît.
6 Loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d’incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine, M.B., 14 juin 2014.
7 C. BEDORET, « Le RCD et… le privilège des frais de justice », B.J.S., n° 546, août 2015, p. 3.
Day-to-Day de l'agent immobilier N°11 (Mars 2023) - En collaboration avec