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L'immobilier après la crise sanitaire : suivisme ou volontarisme ?

Publié le 07 Juillet 2020

À juste titre, le secteur de l’immobilier — au sens large — s’interroge sur l’après-COVID. S’il y a beaucoup de spéculations, il y a peu de certitudes pourtant.

Sauf une, plus que probable en tout cas : un recul de l’activité, du type de celle qui a été enregistrée après la crise de 2008, même si les explications tendancielles sont multiples (plus d’appartements par exemple) et ne relèvent pas toutes de la crise financière de l’époque. Jamais depuis lors le nombre de permis accordés n’a retrouvé son niveau de 2008, ni en résidentiel, ni en non résidentiel. On fera remarquer ici — évolution qui a échappé à beaucoup d’observateurs — qu’il a fallu plus d’une décennie après 2009 pour que le pouvoir d’achat moyen revienne à son niveau de l’avant-crise. En fait, on devrait dire : « il aurait fallu », puisque c’est en 2020 que ce pouvoir d’achat moyen était supposé revenir à son niveau de 2008. On peut donc penser que le rétablissement du revenu réel moyen sera cette fois-ci très lent aussi.

Les prêts seront accordés moins facilement par un secteur financier globalement sous tension, contrainte qui s’ajoute à celle sur les montants qui peuvent être prêtés. Et quand bien même, des ménages auront vu une partie ou la totalité de leur épargne en vue d’un projet immobilier fondre avec la baisse des revenus, l’épargne de précaution prendra plus de place, des publics relativement « nouveaux » vont être confrontés aux rigueurs de la législation sociale ce qui les « refroidira » pour un temps, des salariés resteront à l’emploi, mais perdront malgré tout une partie de leur pouvoir d’achat (par exemple : suppression des participations bénéficiaires et autres primes, baisses plus ou moins « volontaires » des salaires, etc.), plus de ménages auront en leur sein au moins un allocataire social, voire deux, et/ou des personnes, notablement des jeunes, sans revenu aucun, les activités d’indépendant à titre complémentaire rapporteront moins. Bref, de nombreux projets immobiliers, y compris en rénovation, seront reportés à de temps meilleurs, au mieux, parfois abandonnés, au pire.

La création de nouveaux ménages de jeunes risque de ralentir, pour un temps du moins, allégeant, un peu, la pression sur le marché locatif des petits logements. Les jeunes feront en effet partie des perdants de la crise : certains qui avaient un emploi l’ont déjà ou l’auront perdu dans les mois qui viennent, l’embauche sera plus difficile et tous, loin de là, n’ont pas une allocation de chômage ou d’insertion. Bienvenue à ces Tanguy’s supplémentaires ! Le graphique ci-contre montre que le nombre de Tanguy’s est reparti à la hausse dans la foulée de la crise de 2008.

On rappellera à cet égard, corollaire de l’évolution du nombre de Tanguy’s, que le nombre de ménages jeunes (de +/- 25 ans à +/- 35 ans) avec enfants, candidats naturels à un investissement immobilier, est plus ou moins stable autour d’un peu plus de 250 000 unités depuis 15 ans et est même orienté à la baisse depuis 2012 ; cela ne risque pas de s’arranger… D’une manière générale, rappelons qu’à chaque nouvelle édition des Perspectives sociodémographiques du Bureau fédéral du Plan le nombre de nouveaux ménages attendus d’ici à 2030 ne cesse de baisser.

L’impact sur les prix des logements, anciens ou neufs, est plus incertain. Je tablerais pour une augmentation très modérée des prix de la construction neuve et une moindre tension sur l’acquisitif, ne serait-ce que parce que certains ménages devront se défaire, pour des raisons financières, de leur bien. Certes, l’achat/construction avec un objectif de placement soutiendra toujours l’activité, mais de nombreux ménages, potentiels locataires, verront leur pouvoir d’achat baisser, ce qui rend ce type d’investissement moins sûr, et, sur certains segments (moyen – haut de gamme), il y a déjà une certaine abondance de biens.

Mais, même des personnes à revenus confortables, dont beaucoup choisissent ce type d’investissement, soit pour préparer l’investissement dans leur logement familial (effet de levier), soit, plus tard, comme investissement en vue de leur pension, vont être touchées par la crise.

Ceci dit, les contraintes financières, qui pour un temps au moins, pèseront sur des locataires et en particulier ceux que la crise aura fragilisés, avec les risques qu’elles font peser sur leur solvabilité, ne pourront que booster encore les AIS ou formules apparentées. Tant mieux, parce que c’est une formule qui concilie des intérêts qui ne sont divergents qu’en première approximation.

Ceci dit, si certains segments du secteur de la construction voient leur activité se contracter pour un temps ou progresser moins, cela laissera des ressources productives pour l’amélioration énergétique du stock de logements existant, qui doit être un des axes majeurs pour répondre au défi climatique, pour autant que l’action publique soit à la hauteur ; ce n’est pas gagné. Voilà pour le « classique » et le « il faudra bien suivre ».

Pour le résidentiel, on pense bien sûr aussi à des évolutions plus qualitatives : aménagements résidentiels pour le télétravail (une pièce y étant consacrée par exemple), voire le retour en grâce de lieux de résidence plus éloignés, mais dont l’éloignement pèse moins si on télétravaille plusieurs jours semaine (on a déjà vu en France des déménagements lointains liés au télétravail et à l’arrivée du TGV), souhait fort d’un jardin, en tout cas d’une (grande) terrasse, etc.

C’est ici qu’il faudra être volontariste (en tout cas pour les décideurs politiques). Il n’y a aucune raison de changer les orientations qui sont déjà en cours ou en route, même s’il faudra encore plus de courage politique pour imposer une vision globale et cohérente.

La densification doit rester le maître mot. S’installer le cas échéant dans un noyau villageois ou une petite ville qui se densifie, oui bien sûr, mais pas « loin de tout ». Les centres urbains resteront donc, et c’est tant mieux, le lieu par excellence de cette densification. Cette densification doit bien sûr s’accompagner de logements d’une qualité totale (avec évidemment un jardin ou une terrasse), de lieux partagés (locaux, potagers, équipements sportifs…), d’espaces verts, d’équipements collectifs d’accès aisé, financièrement et physiquement.

Le quartier ou le noyau villageois étaient appelés à structurer le redéploiement des activités de proximité déjà avant la crise ; la crise sanitaire ne peut que renforcer ce mouvement. 

Difficulté : il est vrai que dans certains programmes récents, les logements, en particulier pour familles avec plus d’un enfant, sont devenus trop petits, même s’il y a des m² hors logement proprement dit qui peuvent être utilisés pour des usages divers. Dans les quartiers concernés, c’est bien sûr la pression du foncier et les limites budgétaires des ménages acheteurs qui conduisent à cette réduction. Mais trop (petit) c’est trop (petit).

Plus que le télétravail à domicile, ce sont des locaux partagés de co-working qu’il faut favoriser, même si c’est moins évident à organiser en cas de problèmes sanitaires. Mais des aménagements physiques et des horaires sont possibles à peu de frais.

Les nouveaux locaux non résidentiels comme les bureaux, les administrations, les maisons de repos et de soins, les écoles, les équipements sportifs… évolueront certainement dans leur conception. Mais cela concerne principalement les nouvelles constructions.

Ici aussi des tendances en cours ou en vue ne doivent pas être infléchies : locaux à usages multiples, un plus grand usage de chaque m² (= densification occupationnelle), locaux partagés, bâtiments plus compacts. Ces tendances peuvent en apparence être en contradiction avec les exigences de la distanciation physique. Pas si ces changements nécessaires pour construire un développement durable s’accompagnent d’évolutions dans la gestion des temps, de plus de réunions à distance, d’un mélange d’activités d’enseignement/formation à distance et présentielles et de la possibilité, pour certaines activités et quand nécessaire, de pouvoir occuper un local de plus grande taille, partagé avec d’autres acteurs.

La dimension « suivisme » de la crise sera déjà compliquée à gérer ; la dimension « volontariste » encore moins. Mais ce volontarisme peut se construire de manière participative, à condition de dépasser la compréhensible émotion liée à la crise sanitaire.

 

Article rédigé par Philippe Defeyt,
Économiste à l'Institut pour un Développement Durable

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